LETTRE OUVERTE A MONSIEUR BERNARD CAZENEUVE, MINISTRE DE L’INTERIEUR.

29 août 2014 5 Par Eli

Monsieur le Ministre de l’Intérieur,

Je vous fais une lettre, que vous lirez, peut-être, si vous avez le temps…

Vous ne me connaissez pas, bien sûr et, de mon côté, je ne vous connais qu’au travers de vos diverses interventions, dans la presse écrite, radiophonique ou télévisuelle.

Mon nom est Claude Bloch, et je travaille, en qualité de psychiatre-psychothérapeute en cabinet libéral, depuis plus de trente ans. Dans la mesure où je suis juif et quelqu’un de poli, je tenais à vous faire mes adieux avant de partir, de quitter la France pour aller m’installer, ailleurs, en Israël, vous pouvez vous l’imaginer, sans doute. Vous voudrez bien excuser par avance la longueur de cette lettre, mais, dans la mesure où c’est une lettre d’adieu, il m’est important de vous dire certaines choses, avant de partir. Et, par ailleurs, j’ai les adieux un peu longs.

Car, voyez-vous, il est grand temps pour moi, comme pour beaucoup d’autres Juifs français, j’ imagine, de se poser, si ce n’est d’y répondre dans l’immédiat, cette question du départ, de quitter ce pays qui fut pour nous, autrefois, cette «douce France» et pour beaucoup d’entre nous, je le pense, «le pays de notre enfance». Il est inutile de vous justifier, de m’expliquer, de tenter de me rassurer, de me retenir, car il est trop tard , Monsieur le Ministre, la coupe est pleine, c’en est trop, et je n’ai plus confiance en vous, dans le gouvernement dont vous faites partie et, de manière plus générale dans cette République Française. En conséquence, c’est décidé, je pars!!!

Je sais bien Monsieur Cazeneuve, que vous ne me chassez pas, et que vous pourriez, pour un certain temps encore, (mais pour combien de temps?), supporter ma présence ici, en France. Mais, voyez-vous, pour une fois, pour cette fois, c’est moi qui vais décider du moment où je vais partir, et de la façon dont je vais le faire, sans attendre, comme cela a été le cas de trop nombreuses fois, dans notre passé à nous, les Juifs, et jusque dans ma propre famille, que ce départ me soit imposé, de l’extérieur, comme ces 16 et 17 juillet 1942, par exemple. Un départ qui est dicté par une situation qui est devenue tout simplement et par trop intolérable.Vous me comprenez, n’est-ce pas? Cela n’a rien de personnel, ce n’est pas contre vous, Monsieur le ministre, c’est juste pour moi, histoire que, pour une fois, j’aie le sentiment, enfin, de maitriser mon destin, mon avenir, celui de mes enfants, et de ma petite-fille, Léonie, un tant soit peu, et aussi, si je le peux, de rester un plus longtemps en vie. «Chat échaudé craint l’eau froide», dit le dicton. Et, ces derniers temps, il y a vraiment eu matière à être échaudé pour les citoyens Juifs de France, ne trouvez-vous pas? Je vous cite quelques noms et quelques faits, survenus en France, pour mémoire. Un jeune Juif, Ilan Halimi, enlevé, torturé, assassiné; des enfants tués dans leur école Juive à Toulouse; des synagogues attaquées (à Paris, à Sarcelles, à Toulouse), des personnes insultés, ouvertement dans la rue, d’autres agressées physiquement etc….etc…..Je me demande souvent, anxieusement quel jour, quelle semaine, quel mois, une de nos synagogues, en France, se trouvera incendiée, avec ou sans fidèles à l’intérieur.

Vous ne m’en voudrez pas, j’espère, de vous dire que, si je le pouvais, je partirais même le plus vite possible, c’est-à-dire demain matin, tellement je ne me sens plus en sécurité ici en France, à Paris, là où, il y a peu de temps je pouvais encore dire «chez moi». Mais c’est un peu compliqué car, voyez-vous, j’ai eu 62 ans, au cours de ce mois, précisément et jusqu’à ce jour, ma vie, je l’ai construite ici, en France. Je suis né à Boulogne-Billancourt, en 1952. J’ai grandi, mes huit premières années, au cœur du 1er arrondissement de Paris, rue Saint-Hyacinthe, près du Marché Saint-Honoré. Puis nous nous sommes éloignés, un peu, pour aller habiter Livry-Gargan, dans le 93, quand ce n’était pas encore le 9-3 et j’y suis resté jusqu’à mes dix huit ans. Mes lieux de promenades s’appelaient alors Bondy, Montfermeil, Clichy-sous-Bois, Gagny et même Sevran. Autant de noms qui effraient à présent, et où votre Police hésite même à se rendre. Mais où, avec mes copains, dans ma jeunesse, le dimanche, nous allions nous amuser, en vélo, au bord du Canal de l’Ourq. Je vous passe toutes les petites bêtises, qu’à l’époque, nous faisions, mais je crois que, de toutes les façons, cinquante ans après, il y a prescription, non ? Je ne vous le cacherai pas, ce furent de belles années, de très belles années même. Puis vinrent le collège, le lycée, la Faculté de Médecine, l’Internat de Psychiatrie. J’adore, pardon, j’adorais la France; sa variété, ses paysages et par dessus-tout, le Sud et Paris. Je suis, pardon, j’étais, un inconditionnel de cette ville, un indécrottable parisien. Son architecture, ses quartiers, si différents, ses parcs et ses musées. Ses librairies et ses marchés. Son Opéra, près de chez moi, et tous ses cinémas……Ah, les cinémas parisiens…..

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Alors, pourquoi partir me direz-vous? «les Juifs, en France ne devraient pas avoir peur», reprenant ainsi les propos de votre collègue aux Affaires Etrangères, Monsieur Laurent Fabius. Pourquoi partir alors? parce qu’il le faut Monsieur le Ministre. Je n’ai plus d’autre choix, désormais, ne le voyez-vous pas? Ne l’entendez-vous pas, cette colère, cette haine, cette vague antisémite qui monte, qui monte, et qui enfle, chaque jour un peu plus et qui finira, fatalement, par déferler un jour et par tout emporter sur son passage, comme le fit le tsunami, en Asie du Sud-Est, ce 26 décembre 2004? Les touristes sur les plages, ont d’abord vu quelque chose, au loin, se demandant ce que cela pouvait bien être. Ils regardaient l’horizon, curieux et un peu fascinés, essayant d’identifier cette chose au loin. Et, lorsqu’enfin ils ont compris de quoi il s’agissait, et bien il était déjà trop tard, ils furent tous emportés par la vague, comme vous le savez. Bilan: 220.000 morts. Mais pourquoi donc partir, répéterez-vous, peut-être, puisque vous me dites aimer tellement la France, et notre capitale, Paris? Il le faut car je veux pouvoir préparer ce départ pendant qu’il en est encore temps, pendant que cette vague montante n’est pas encore devenue un tsunami. Car, comme je vous le disais plus haut, c’est un peu long, compliqué et douloureux de tout quitter, comme cela, à soixante ans. Quitter son pays, son travail, son appartement, ses amis. Ça prend du temps, et du temps, avant qu’il ne soit trop tard, combien m’en reste t-il, vous le savez, vous, Monsieur le Ministre de l’Intérieur? Pour ce qui me concerne, je crois que, du temps, il n’en reste plus trop, voyez-vous, pour nous les Juifs de France, au risque de vous contredire ainsi que Monsieur Laurent Fabius.

Vous me direz, comme beaucoup, que je dramatise, que nous n’en sommes pas encore là, qu’il ne s’agit que de «petites haines» et de petits voyous, de casseurs des banlieues. Et je pourrais en effet le croire, à constater la rapidité avec laquelle ils sont relâchés, après avoir été interpellés, après-coup. Je pourrais en effet vous croire si j’étais complètement aveugle, sourd ou demeuré. Vous ajouterez, pour me tranquilliser, que la situation est sous contrôle, que tout cela va rapidement rentrer dans l’ordre et que d’ailleurs, pour preuve, vous avez demandé, à tous vos préfets, de porter plainte en cas d’inscriptions antisémites, racistes ou xénophobes. En visite de terrain à Val-de -Reuil, dans l’Eure, vous avez, selon le site de «Le Parisien.fr», cité deux cas que vous avez dénoncés avec vigueur: des croix gammées ont été tracées sur un lieu de culte musulman à La Charité-sur-Loire (Nièvre) samedi 26 juillet, et une inscription antisémite a été découverte, lundi 28 juillet, sur une stèle à la mémoire d’enfants juifs déportés à Marseille. Toujours selon le site de «Le Parisien.fr», vous avez dit : «Ce sont des événements que je ne veux pas voir»…… «ces comportements sont inadmissibles, n’ont pas leur place dans la République» et nécessitent une réponse «ferme et déterminée». Et si, bien entendu, je suis parfaitement d’accord avec vous, sur le fait que ces comportements sont inadmissibles et (qu’ils) n’ont pas leur place dans la République, il faut alors que maintenant, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, vous m’expliquiez clairement, en votre qualité de Chef de la Police et de responsable du maintien de l’Ordre républicain, pourquoi, ces comportements, que vous qualifiez d’inadmissibles, vous les avez vous-même admis, et, pire, laisser se produire, sous mes yeux ébahis et sous les yeux de vos CRS, des reporters-photographes et des caméras du monde entier, samedi 26 juillet 2014, Place de la République, précisément. Ce jour où des croix gammées ont été dessinées, des saluts nazis faits sur cette statue, symbole de notre République et de sa devise: “Liberté, Egalité, Fraternité”. Laissez-moi, si vous voulez bien, vous raconter, car j’y étais, ce que j’ai vu, entendu, ressenti et pensé, sur cette même Place, ce funeste dimanche, où vous avez abandonné la place…..de la République, justement.

Je suis donc arrivé très tôt, vers 13h, sur la Place de la République, à cette manifestation, que vous aviez interdite, samedi 26 juillet (!!!), par crainte que les accès du Métro République soient déjà fermés. J’ai déjeuné sur place puis j’ai commencé à circuler sur et autour de la Place, caméra à la main et appareil photo autour du cou. Ma première photo a été celle de la statue, encore épargnée de toute atteinte à son intégrité, cette statue, au centre de la Place, qui symbolise ce qu’est, ce que devrait être, et aujourd’hui je dois malheureusement écrire CE QU’AURAIT DÛ ÊTRE NOTRE REPUBLIQUE, ce jour-là, et qu’elle n’a pas pu (?), pas voulu (?) ou pas décidé (!!!) et assumé d’être, c’est à dire: un ETAT DE DROIT. Comme on peut l’imaginer, il y avait vos Forces de l’Ordre, en grand nombre, à la limite de toutes les grandes avenues et boulevards menant à la Place. Je dois dire que ça m’a quand même un peu étonné, un tel déploiement de Forces de l’Ordre pour une manifestation qui était interdite. Vers 13h30 quelques personnes, par petits groupes de 2, 4 ou 5 ou 6 personnes ont commencé à sortir des bouches du Métro (ouvertes, à mon plus grand étonnement) et des rues voisines. Un certain nombre de CRS étaient aussi sur la Place de la République. J’insiste un peu pour mettre le nom de la Place en entier, même si ça peut sembler répétitif et un peu lourd mais je vous expliquerai plus loin pourquoi j’insiste autant. Dans ma grande naïveté, et, en ma qualité de citoyen lambda, et de parent, je me suis dit que, comme cette manifestation était INTERDITE, les policiers allaient le rappeler rapidement, et, au besoin, fermement, aux personnes qui arrivaient avec l’intention de manifester, et que ces mêmes policiers allaient leur demander, voire, leur intimer la consigne de rebrousser chemin, puisqu’ils n’avaient pas le droit de se regrouper là. Je ne vais pas discuter ici du bien-fondé ou non de votre interdiction de cette manifestation. Ce n’est pas du tout mon propos. Ce qui m’intéresse ici, ce qui m’interroge et ce qui me pose, depuis ce samedi 26 juillet, un très gros problème, un problème majeur même, et qui m’a très certainement amené à décider de où je vais vouloir vivre désormais, c’est, entre autres choses, cette question de l’Interdit. Si on autorise quelque chose, ça veut dire qu’on peut le faire. Et si on interdit quelque chose, ça veut dire qu’on ne peut pas le faire, non? Mais si, d’un côté on dit que c’est interdit et, que, dans le même temps, on laisse totalement faire la chose interdite, comment cela s’appelle, et qu’est-ce que cela signifie….pour chacun de nous, pour tout le monde, pour après, et pour très longtemps? Beaucoup d’entre nous sommes parents et avons ou avons eu des enfants petits, pas toujours dociles ou obéissants. Nous leur avons souvent interdit de dire certaines choses, ou de faire certaines choses. Ça fait partie de l’éducation. Ne pas respecter un Interdit, c’est le braver ou le transgresser !!! Ne pas assumer et, surtout, ne pas faire respecter un Interdit que l’on a énoncé, c’est se DISQUALIFIER soi-même en tant que parent, éducateur, dirigeant ou gouvernant. Je suis au regret de constater que, vous, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, ainsi que le Préfet de Police, les personnes qui nous gouvernez, vous vous êtes, ce samedi 26 juillet, totalement, absolument et durablement DISQUALIFIES, dans votre qualité de gouvernants !!! Vous avez permis aux manifestants de braver l’interdit, de le transgresser ouvertement (et j’ajoute, ostensiblement, fièrement), et cela, en toute simplicité, en toute impunité, sans dire un mot et sans bouger le petit doigt, c’est à dire, sans faire intervenir les Forces de l’Ordre républicain. Quand un de nos enfants transgressait un Interdit, ne lui infligions-nous pas une sanction, une punition (privé de télé, de sortie, de copains ou d’argent de poche etc….?). Mais une sanction qui avait pour but et pour fonction d’enseigner, de rappeler que L’ON NE PEUT PAS BRAVER, TRANSGRESSER UN INTERDIT IMPUNEMENT. Car, si on laisse faire, quel message délivre-t-on à nos enfants, à nos élèves, à nos salariés, à nos concitoyens? On leur délivre le message implicite, et samedi 26 juillet ce message était très clairement explicite et celui-ci : Mon Interdit n’a AUCUNE VALEUR, il n’a AUCUN SENS, vous pouvez faire tout ce que vous voulez……… TOUT EST PERMIS, TOUT DEVIENT DESORMAIS POSSIBLE, MÊME LE PIRE !!! Et là, toutes les limites sont abolies, les garde-fous sautent et …….alors?. Alors, on peut escalader la statue de la Place de la République, on peut y dessiner des croix gammées, on peut y brandir et y faire flotter des drapeaux du Hamas, et du Djihad islamique, on peut y faire des quenelles au vu et au su de tous (photos et vidéos en témoignent), et on peut transformer l’esplanade de la Place de la République en lieu de prière. La république, votre République se retrouve du même coup bafouée et confisquée. Votre AUTORITE, Monsieur le Ministre, et à travers vous, l’Autorité de l’Etat se retrouve NIEE ET PIETINEE. «Votre République, voilà comment je la traite, je m’assied dessus (je serais tenté d’écrire autre chose, mais je ne veux pas devenir grossier), je lui noue le drapeau palestinien autour du cou, et je brandis, fièrement le drapeau du Hamas et celui du Djihad au-dessus de vos têtes ». Voila quel était le message, très explicite qui vous a été renvoyé ce jour-la, à vous Monsieur le Ministre de l’Intérieur, à nos autres gouvernants, et à tous les citoyens lambda, témoins et stupéfaits. Tout ceci sous la présence et le regard de vos nombreuses Forces de l’Ordre, restées du fait de vos ordres de non-intervention, immobiles!

A plusieurs reprises, j’ai demandé à certains de vos hommes en uniforme s’ils savaient que ça allait forcément et fortement dégénérer plus tard dans la journée. Ils m’ont répondu «vous croyez?» A quoi j’ai répondu qu’il suffisait de regarder et d’écouter la haine monter, et monter encore, pour en être tout à fait sûr. Comme ils n’avaient pas trop l’air de me croire, je leur ai dit, avant d’aller plus loin sur la Place, «attendons, nous verrons bien». Et en effet, nous avons vu, à la fin , comment les chose ont dégénéré, même si, de votre côté, et ça fait partie de votre métier, vous avez minimisé la chose, à savoir, ne jamais, au grand jamais, laisser seulement penser ou croire qu’on aurait pu, qu’on pourrait même être, à un moment donné dépassé, débordé. Alors, lorsque les premiers objets ont commencé à voler, que les premières vitres ont été cassées et que ça a commencé à courir dans tous les sens, j’ai estimé qu’il était temps pour moi, de m’éloigner et de rentrer chez moi, dans le Marais. Pensant que la station de métro République serait fermée, par prudence et compte-tenu des évènements, je suis allé à la station suivante, Strasbourg-Saint-Denis. Et, je me dois ici, Monsieur le Ministre, de vous relater un épisode qu’aucune caméra n’a pu filmer et qu’aucun de vos hommes n’a pu voir car ils étaient tous bien trop occupés, en surface. J’ai pris la ligne 8, direction Créteil. A la station République, que je croyais, à tort, fermée, j’ai soudain entendu et, juste après, vu, un très grand groupe, une bonne centaine au moins, d’ex-manifestants qui ont déboulé sur le quai en hurlant, en tapant sur tous les objets à portée de leurs mains et qui vociféraient: «Palestine! Palestine! Palestine!». Ça faisait un bruit énorme et ils se sont engouffrés, pour la plupart, dans le wagon de tête et les autres dans les 2-3 wagons suivants, mais toujours en hurlant, en vociférant et en tapant. Vous pouvez me croire, Monsieur le Ministre, c’était très impressionnant et je dirais même très effrayant. Les passagers, moi y compris, n’attendions et n’exprimions tout fort qu’un seul souhait, qu’une seule attente anxieuse: «alors, il les ferme ces portes, il va bientôt démarrer ce p……..de métro». A la station Fille du Calvaire, la rame ne s’est pas arrêtée; à la station St-Sébastien Froissart, la rame ne s’est pas arrêtée non plus et notre métro commençait à ressembler à un train fou, sans plus de conducteur.

Monsieur le Ministre, j’ai vécu, nous avons tous vécu je crois, un moment proche de la terreur. Et en écrivant ce mot, je pèse mes mots! Les membres de la horde sauvage, car s’était bien d’une horde sauvage qu’il s’agissait, sont sortis des wagons (ils n’avaient jamais cesser de hurler et de vociférer pendant tout ce temps), et d’un pas rapide et tous groupés, ils ont commencé à longer le train, sur toute sa longueur, pour rejoindre la sortie, qui se trouvait en bout de quai. Et, tout en avançant, et alors que les portes du métro étaient encore ouvertes, ils tapaient du plat des mains ou avec leurs poings sur les portes et sur les vitres des wagons à l’arrêt, en criant, que dis-je, en hurlant: « Palestine!, Palestine!, Palestine!, Palestine». Une pensée fugace, mais effrayante, m’a alors traversé l’esprit : «et s’ils se rendaient compte que je suis juif…….ils me sortiraient du wagon et me lyncheraient sur place, ou bien ils me jetteraient sur les voies…..». Rapidement et anxieusement, je m’examinai mentalement, de la tête aux pieds, afin de déterminer si un signe extérieur pouvait «trahir», ma judéité. J’en conclus que non, que rien ne laissait transparaître, à priori, ma qualité de juif et je retrouvai seulement alors un semblant de calme. Pendant ce temps-là, les membres de la horde étaient remontés à la surface et, les ayant suivis (à bonne distance quand même), je les vis marcher vers la Place de la Bastille, en même temps que de nouveaux cars de CRS arrivaient, afin de bloquer les accès au quartier du Marais, là où je demeure et vers là où ces individus déchaînés étaient en train de se diriger.

J’ai lu, il y a quelques temps, dans le journal Le Figaro, la tribune qu’avait écrite le vendredi 1er août, Mr. Dominique de Villepin, ancien Premier ministre de la France et intitulée : «Lever la voix face au massacre perpétré à Gaza». Et cette tribune, publiée par un ancien Premier ministre, m’a rappelé les propos d’un autre ancien Premier ministre de la République Française, Mr. Raymond Barre, immédiatement après l’attentat, qui avait eu lieu devant la synagogue de la rue Copernic, dans le 16ème arrondissement de Paris, le 03 octobre1980. Propos qui sont, vous l’imaginez bien, restés gravés dans la mémoire de tous les citoyens français de confession juive. Je vous rappelle ces propos, juste au cas ou vous les auriez «oubliés»: « Cet attentat odieux voulait frapper les israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic ».
Quel manque de chance vraiment, cet attentat qui a manqué sa véritable cible. Il a tué uniquement des «français innocents». Les citoyens français de religion juive, ne seraient-ils pas totalement français? et, s’ils sont français, pourquoi ne seraient-ils pas eux aussi, innocents? de quoi seraient-ils bien coupables, ces Israélites? Un autre ancien Premier ministre, Mr. Laurent Fabius, membre du même gouvernement que celui auquel vous appartenez vous-même, et actuellement Ministre des Affaires étrangères, a évoqué lui aussi, à plusieurs reprises, et dans différents médias, le fait que rien ne justifiait les massacres perpétrés par l’armée israélienne dans la bande de Gaza et que ces massacres devaient cesser au plus vite. Vous-même, Mr. Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, avez confié au site Médiator, que, si ce n’était votre fonction qui vous en empêchait, vous seriez également allé manifester avec les pro-palestiniens, ces dernières semaines, car vous trouviez leur cause «juste». Vous comprendrez aisément, que de tels propos, émis par un Ministre de la République, Chef de la Police et en charge du maintien de l’Ordre, ait de quoi surprendre, face au devoir de réserve auquel vous êtes, normalement tenu et, plus grave encore, que de tels propos, émis publiquement, ait de quoi inquiéter encore un peu plus les citoyens comme moi, français de religion juive, que vous êtes supposé protéger, comme tout autre citoyen français «innocent».

Je vois, j’entends, chaque jour et chaque semaine un plus plus, et cela partout en Europe, mais encore d’avantage ici, en France, cette parole antisémite qui se libère et, avec cette libération du langage, les actes et les violences antisémites qui se multiplient. Cet antisémitisme, qui souvent prend le masque d’un anti-sionisme bon ton, politiquement plus acceptable, explose à nouveau, et la déflagration est si violente que je suis, qu’un grand nombre d’entre nous sommes renversés par son effet de souffle. La Maison France tremble, ses murs se fissurent, ses vitres se brisent et son sol, que les français de religion juive, croyaient stable jusque là, se dérobe sous nos pieds. Je me souviens d’une discussion avec ma fille, âgée de 29 ans, et qui remonte à il y a trois mois environ, et dans laquelle j’évoquais comme cela, en passant, comme on dit, l’éventualité, la possibilité, que, une fois arrivé à la retraite, dans 3 ans, je puisse m’installer, tout du moins pour une partie de l’année, en Israël. Elle ne m’a pas vraiment pris au sérieux et, à vrai dire, je ne sais pas si je me prenais au sérieux moi-même en disant cela. Toutefois, depuis cette discussion récente et légère, tout a changé. Et ce que j’évoquais, il y a trois mois à peine, comme une simple option, une éventualité, s’est transformé en une nécessité absolue. «Bien sûr qu’il faut que je quitte ce pays, et le plus vite possible même, sans attendre un illusoire «retour à la normale» ou que les choses «rentrent dans l’ordre», comme vous aimez à le dire, car, non seulement les choses ne rentreront pas dans l’ordre, mais elles ne vont faire qu’empirer, vous pouvez me croire. Et aujourd’hui, qui peut seulement prédire où s’arrêtera ce raz-de-marée antisémite qui déferle, partout en Europe, et tout particulièrement en France? Je suis certain à présent de me sentir plus en sécurité et pour tout dire plus «chez moi» dans ce petit pays qu’est Israël qu’en France, où pourtant je suis né, mais où, à mon plus grand regret, je ne me sens plus en sécurité, plus protégé par vous Monsieur le Ministre, ni par le gouvernement auquel vous appartenez et, pour tout dire, où je ne me sens plus vraiment «chez moi».

Il s’est opéré en moi, en l’espace de quelques semaines, une véritable mutation, une «métamorphose», comme de celle dont parle Franz Kafka dans son livre homonyme.
J’ai le sentiment d’avoir progressivement basculé, depuis le 08 juillet de cette année, dans une toute autre dimension. Jusqu’à ce jour, j’étais, je me pensais être du moins, un citoyen français, de religion juive, intéressé et concerné par ce qui se passait en Israël, dont le destin, la sécurité et la survie m’importent beaucoup. Comme je peux être intéressé et concerné par les évènements qui surviennent dans le monde entier, avec une sensibilité plus aigüe, j’en conviens, pour le conflit Israélo-palestinien, comme il est convenu de l’appeler qui ne cesse de durer.

Je ne crois pas en Dieu, je ne vais à la synagogue qu’assez rarement, je ne mange pas casher, j’ai mis mes enfants à l’Ecole publique, et jusqu’il y a peu, on aurait pu dire de moi que j’étais «un Juif de Kippour» et je pensais moi-même être totalement intégré (d’autres diraient probablement «assimilé»). Je me sentais et me percevais avant tout comme un citoyen français, encourageant encore récemment l’équipe de France de football, après qu’elle soit arrivée en 1/4 de finale de la Coupe du Monde et lui souhaitait d’aller jusqu’en finale, pour, après être parvenu jusqu’à ce point de la compétition, la remporter.

Autrement dit, jusqu’à ces toutes dernières semaines, ma qualité de Juif, si elle a pour moi une importance d’ordre privée, me semblait assez «périphérique» pour les autres, qu’ils soient collègues, amis, commerçants, membres d’une administration française quelconque ou même pour l’ensemble de mes patients. Et puis, soudainement, à l’occasion d’un nouvel épisode du conflit Israélo-palestinien, ma qualité de Juif s’est retrouvée placée, par un certain nombre d’hommes politiques de premier plan, par l’ensemble des médias nationaux, par des célébrités diverses et variées, par les manifestants pro-palestiniens et par d’autres personnes encore, au centre de mon identité. Le fait que je soit juif est devenu alors mon principal et unique attribut, reléguant, du même coup mon statut de citoyen français très loin derrière et, à son tour en périphérie de mon identité. Jusqu’au 07 juillet au soir, j’étais un citoyen français, de religion juive; le 08 juillet, dans la journée je me suis retrouvé métamorphosé en «Juif de France». Quelle mutation soudaine!!!

Au moment précis où l’Etat d’Israël, las de recevoir chaque jour son lot de roquettes, envoyées depuis la bande de Gaza par le Hamas, décide de se défendre en ripostant, ma qualité de Juif m’a été jetée à la figure comme un reproche, voire comme un crime. Presque du jour au lendemain, je n’étais plus ce citoyen français que je croyais être, j’étais devenu un israélien-assassin, qui massacre femmes et enfants dans la Bande de Gaza. Et pour cela, je méritais d’être insulté dans la rue à Paris, et je devais craindre d’être menacé voire agressé physiquement. Je devais faire profil bas, chuchoter mon nom de famille, par crainte de représailles et cacher mon étoile de David dans le cas où j’en aurais porté une, ce qui n’est pas le cas.

Devrais-je aussi, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, craindre qu’un de ces prochains jours ou de ces prochains mois, vous me convoquiez en votre Préfecture de Police, sur l’Ile de la Cité, par l’intermédiaire de vos services, afin que, sur ma Carte Nationale d’Identité, à la place de «française», en réponse à la question de la nationalité, on appose au tampon rouge la mention «JUIF», à laquelle on ferait suivre l’indicatif «de France». Mais, le psychiatre que je suis, s’égare et ces pensées qui me traversent, à l’occasion, mais quand même de plus en plus souvent depuis quelques semaines, ne sont, en réalité que des idées délirantes. Cela ne peut pas survenir en France. Cela n’est d’ailleurs jamais arrivé dans notre doux pays et il faut vraiment que je me reprenne ou que j’aille consulter.

Je ne vais pas abuser plus de votre temps, Monsieur Cazeneuve et, de mon côté, il me reste encore pas mal d’affaires à régler, avant mon départ.

Pour finir, juste une question. Savez-vous, Monsieur le Ministre comment sont accueillis, en Israël, les juifs du monde entier, nouveaux immigrants, c’est à dire ceux qui ont fait leur Alyah, comme on dit communément, lorsqu’ils arrivent à l’aéroport Ben Gourion à Tel-Aviv? Ils sont accueillis sous une grande banderole sur laquelle est écrit, en lettres majuscules : BIENVENUE A LA MAISON. Etonnant, non?

Recevez Monsieur Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, l’expression de mes sentiments respectueux mais pas du tout rassurés et plus du tout confiants.

Docteur Claude BLOCH.

Le cri de désespoir d’un Juif qui se croyant intégré, et qui à 62 ans se découvre Juif de France.

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