Quatre bouleversements au Moyen-Orient
par Daniel Pipes
Fox News
29 mars 2011
http://fr.danielpipes.org/9639/quatre-bouleversements-au-moyen-orient
Version originale anglaise: Four Middle Eastern Upheavals
Adaptation française: Johan Bourlard
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Après des décennies d’immobilisme, le Moyen-Orient est en effervescence. Les événements étant trop nombreux pour se concentrer sur un seul point, voici un examen de l’évolution de quatre pays clés.
Mouammar al-Kadhafi, en resplendissante tenue d’apparat militaire.
La Libye. Le 19 mars, alors que la plupart de ses citoyens ne s’en sont pas vraiment rendu compte, le gouvernement américain est entré en guerre, de façon hasardeuse, contre la Libye de Mouammar al-Kadhafi. L’opération, dont le caractère hostile à peine avoué a été masqué par un euphémisme (« opération de mouvement militaire, particulièrement sur la ligne de front »), n’a pas d’objectif clair. Deux figures de proue de l’administration Obama se trouvaient à l’étranger : le président était au Chili et le Secrétaire d’Etat, en France. Les membres du Congrès, qui n’avaient pas été consultés, ont, toute tendance politique confondue, manifesté leur mécontentement. Quant aux analystes, certains y ont vu un précédent pour une attaque militaire d’Israël.
Obama aura peut-être de la chance si Kadhafi tombe rapidement. Mais personne ne sait qui sont les rebelles et l’effort à durée indéterminée pourrait bien s’avérer long et coûteux et prendre une tournure terroriste et politiquement impopulaire. Si c’est le cas, la Libye risque de devenir l’Irak d’Obama, voire pire si les islamistes prennent le contrôle du pays.
Obama veut que les Etats-Unis soient « un partenaire parmi tant d’autres » en Libye et voudrait être le président chinois, comme si cette guerre constituait pour le gouvernement américain une magnifique expérience semblable à celle de la Belgique. J’admets avoir une certaine sympathie pour cette approche ; en 1997, je me plaignais encore et encore du fait que Washington s’ingère brusquement pour faire régner l’ordre et que « l’adulte américain infantilise l’autre ». Je priais instamment Washington de montrer plus de retenue et de laisser les autres venir lui demander de l’aide.
C’est ce qu’a fait Obama, avec sa maladresse et son manque de préparation habituels. Les résultats auront certainement une influence sur la politique future des Etats-Unis.
Egypte. Sous l’égide du Conseil suprême des Forces armées, s’est tenu, le 19 mars dernier, un référendum où 77 % des votants ont approuvé la réforme constitutionnelle, avec comme conséquences la montée en puissance aussi bien des Frères musulmans que des rescapés du Parti national démocratique (PND) d’Hosni Moubarak et la mise à l’écart des laïques de la Place Tahrir. Ce faisant, le nouveau pouvoir militaire a confirmé son intention de poursuivre la politique gouvernementale subtile et déjà ancienne de collusion avec les islamistes.
Deux faits viennent étayer cette collusion : depuis le coup d’Etat de 1952, l’Egypte est gouvernée par l’armée et les soi-disant « officiers libres » qui ont mené ce projet à bien entretenaient eux-mêmes des liens étroits avec l’aile militaire des Frères musulmans.
Parmi les « officiers libres », en 1952, on peut noter la présence de Gamal Abdel Nasser, assis à l’extrême gauche, et d’Anouar el-Sadate, assis à l’extrême droite.
L’esprit de la Place Tahrir était bien réel et pourrait finalement triompher mais pour l’instant, rien ne bouge en Egypte et le gouvernement poursuit la ligne quasi islamiste de Moubarak.
En 2010, Mahmoud Ahmadinejad fête Bashar Al-Assad à Téhéran.
La Syrie. Hafez el-Assad a dirigé le pays pendant trente ans (1970-2000) avec une brutalité et une fourberie sans pareille. Se prenant pour un monarque, il a légué la présidence à son fils Bachar, âgé de 34 ans. Après des études d’ophtalmologue, Bachar n’a rejoint l’entreprise familiale, contraint et forcé, qu’après le décès de son frère plus compétent, Basil, en 1994. Depuis lors, il maintient fondamentalement la politique mégalomane de son père, entretenant ainsi la stagnation, la répression et la pauvreté.
En 2011, le vent de changement qui a atteint la Syrie a mobilisé les foules aux cris de Suriya, hurriya (« Syrie, liberté »), les libérant de leur peur du bébé dictateur. Pris de panique, Bachar s’est mis à louvoyer entre violence et apaisement. Si la dynastie des Assad venait à tomber, cette chute aurait des conséquences catastrophiques pour la minorité alaouite, communauté d’où ils sont issus. Les islamistes sunnites, qui sont en bonne place pour succéder aux Assad, feront probablement sortir la Syrie du bloc de la « résistance » mené par l’Iran. Cela signifie qu’un changement de régime aura des implications à la fois positives et négatives pour l’Occident et particulièrement pour Israël.
Le Yémen. Ce pays représente le terrain le plus propice à un renversement de régime et à une de prise de pouvoir par les islamistes. Le rusé Ali Abdullah Saleh, au pouvoir depuis 1978, est, certes, un autocrate défaillant au pouvoir limité. Néanmoins, en dépit de ses liens avec Saddam Hussein et la République islamique d’Iran, il est le meilleur allié que l’Occident puisse espérer pour contrôler l’arrière-pays, limiter les rébellions et combattre Al-Qaida.
Par sa gestion calamiteuse des mouvements de protestation, il s’est même aliéné le commandement militaire (d’où il provient) et sa propre tribu, les Hachid ; ce qui laisse penser qu’il quittera le pouvoir en ayant très peu de contrôle sur ce qui arrivera après lui. Compte tenu de la configuration du pays – structure tribale, distribution d’armes à grande échelle, division entre sunnites et chiites, relief montagneux et climat des plus arides – une anarchie islamisante (comme en Afghanistan) semble une issue probable.
Que ce soit en Libye, en Syrie ou au Yémen – c’est moins le cas en Egypte – les islamistes disposent d’opportunités pour étendre leur pouvoir de façon significative. Dans quelle mesure l’ancien musulman qui vit actuellement à la Maison Blanche et qui est si intransigeant à propos du « respect mutuel » dans les relations entre les Etats-Unis et les musulmans, dans quelle mesure protégera-t-il les intérêts occidentaux face à cette menace ?
Thèmes connexes: Politique étrangère américaine, Société moyen-orientale
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